Un cours du Maître se divise en 3 parties.
Tout d'abord, quelques études bien choisies pour l'échauffement du neurone.
Puis la partie du jour, où, bien souvent, les analyses des Grands-Maîtres sont mises à mal.
Et enfin les problèmes féeriques étudiés au restaurant d'après-cours.
Le compte-rendu se divise également en 3 parties :
le compte-rendu textuel pris à la volée par le greffier sur la partie gauche
le compte-rendu électronique du Maître sur la partie droite
Le rectifications apportées par le Maître sur le compte-rendu textuel apparaissent dessous
Entrevue
(octobre 2014)
AV, on vous connaît pour votre travail sur les Finales mais, par ailleurs, qui êtes-vous ?
-- Un ancien prof de maths, joueur de tournois (champion de Paris 1979, MI depuis 1988) passionné non seulement par les finales, mais par les problèmes et études. En revanche, la rumeur que je serais "contemporain de Steinitz", comme le disait un ancien président de la FFE, est nettement exagérée : je n'ai encore que 69 ans.
Mais qu'est-ce donc qu'un problème ? Je vous entends protester chaque fois qu'un joueur utilise ce mot pour une combinaison de partie.
-- En effet, mais pas assez fort, puisque cette erreur perdure. Un problème est une position composée, et non pas survenue dans une partie. L'énoncé est de type "mat en n coups", si nous nous limitons aux problèmes directs. Mais existent aussi les mats "inverses" (je force l'adversaire à me mater), les mats "aidés" (il collabore avec moi pour se faire mater), les rétros (quel fut le passé de la position ?), les féeriques (pièces ou règles différentes).
Une étude est aussi une position composée, dans laquelle un camp (les Blancs en général) doit gagner ou annuler, sans que le nombre de coups soit fixé. Comme pour le problème, il doit y avoir un intérêt, une originalité : présenter de beaux mats, de savantes manoeuvres, une idée nouvelle, un thème précis, des sacrifices, etc. La difficulté est variable, mais n'est pas un but en soi : même en championnat, le sélectionneur s'efforce en général de récompenser le solutionniste qui souffre par un minimum d'esthétique.
Comme aux gendarmes et aux voleurs, il y a ceux qui composent et ceux qui résolvent. Certains alternent ces deux activités.
Vous êtes depuis l'été le seul "double maître international" français, pour la partie et le problème. Quel effet sur vous ?
-- L'expression, calquée sur le langage courant, de double décimaître me paraît meilleure. C'est vrai, le congrès de Berne 2014 a décidé de me donner le titre de MI pour la résolution, récompensant tardivement des performances de 2008 & 2009. Il fait suite, un quart de siècle après, à mon titre de MI pour la partie. Rassurez-vous, cela ne changera pas d'un pouce mon emploi du temps quotidien.
Il y a un autre titre pour la composition, qui ne me concerne pas. Mon ami A. Onkoud pourrait bien, dans un proche avenir, détenir les trois titres. Ajoutons que M. Caillaud est double grand-maître, pour chaque branche du problème.
Comment vous est venue la passion des problèmes ? Les résoudre seulement, d'ailleurs. Pourquoi ne composez-vous pas ?
-- J'ai commencé la résolution à 14 ans, grâce à la chronique de Camil Seneca qui comportait dans chaque numéro des nouvelles, un problème et une partie. De naturel discipliné, je lisais tout ! Or, si "lire" une partie signifie la rejouer, lire un problème signifie... le résoudre. L'avantage est qu'on peut s'entraîner sans adversaire. Et en effet, je n'ai disputé mon premier tournoi qu'à l'âge de 18 ans et demi. J'ai alors alterné jeu et résolution jusqu'à l'âge de 20 ans, où j'ai décidé de faire quelques progrès dans ma façon de jouer. Hum ! Ces progrès ont tardé à venir, de sorte que j'ai repris contact avec le monde du problème... 30 ans plus tard.
Dans les années 60, j'ai composé quelques problèmes, mais vite cessé en voyant que je ne pourrais jamais égaler les vrais compositeurs. Excès de modestie ? Non, je ne crois pas. Beaucoup plus tard j'ai composé de petites études, pour la plupart issues d'analyses qui ont mal (ou très bien) tourné. Mais je ne suis pas créateur dans l'âme, je suis plutôt collectionneur de beauté, chercheur d'or !
Comment vous classez-vous parmi les solutionnistes ?
-- Mon classement en résolution : 40e mondial et 2e Français (après Michel Caillaud). Il ne faut en tirer aucune conclusion : ces places viennent essentiellement de la rareté des concurrents : n'oubliez pas qu'il n'y a jamais de pépettes à gagner. Comme le dit ma tendre épouse, "chaque fois qu'il n'y a rien à gagner, tu es très fort". En 2012, MVL était invité au Japon, mais pour jouer aux Echecs et au Shogi. Par chance s'y déroulait le congrès des problémistes. Il participa le premier jour au championnat de résolution, où il remporta la section "études", puis dut faire forfait le 2e jour. Ses activités professionnelles lui interdisent de s'y consacrer davantage.
Mes meilleurs résultats en congrès mondiaux : 18e à Turku (Finlande) en 1995, 12e à Jurmala (Lettonie) en 2008, 11e à Rio de Janeiro (Brésil) en 2009.
Trois championnats du monde réussis sur cinq, les deux ratés étant Portoroz (Slovénie) en 2002 et Rhodes (Grèce) en 2007. Titrés français en résolution, c'est vite fait : un GMI, Caillaud et deux MI, Garen Yacoubian et, à présent, votre serviteur. Officiellement, Garen est seulement sur la 2e liste, celle des "inactifs" car il n'a pas participé depuis longtemps (quoiqu'il ait été présent à Berne).
PS : A propos de "championnats du monde réussis", une petite actualisation :
Championnat du monde plutôt raté : Ostróda 2015 (Pologne).
Championnat du monde plutôt réussi : Belgrade 2016 (un prix pour vieillards).
Championnat du monde réussi : Ohrid 2018 (19e, précédant Michel).
On ne vous voit plus guère dans les tournois. Avez-vous perdu le goût de la compétition ?
-- Je ne joue plus de tournois d'échecs "normaux" depuis 2009. Figurez-vous qu'à présent, jouer une partie... m'ennuie. Mais oui, je pense aux Echecs pas loin de 24 heures sur 24 ("Chess is my life", V. Kortchnoï), mais le fait de jouer une partie me semble fade, quelconque... Je suis tellement habitué à rencontrer la Beauté chaque jour, que ce soit dans l'analyse des finales, et même de parties entières, ou dans la contemplation de superbes problèmes ou études. Sans parler du fait, évident, que je n'ai plus la même énergie qu'en 2005, où j'avais réalisé une nouvelle norme, 17 ans après l'obtention de mon titre.
Quand j'ai cessé mon activité de prof de maths à l'été 2006, disposant désormais de tout mon temps (je le croyais du moins), j'imaginais jouer une flopée de tournois jusqu'à ce que mort s'ensuive. Eh bien non, je ne serai ni Mieses ni Paoli. Mais j'espère continuer les concours de résolution de problèmes. Si vous saviez comme c'est reposant, comparés aux tournois : de courtes séquences (1h40 maximum, pour les études), au lieu de souffrir pendant 4 ou 5 heures, et surtout, aucune préparation, attendu qu'on n'a aucune idée des problèmes qui seront proposés ! Pas de torture de 3 heures pour améliorer le 27e coup de la variante Kalachnikov.
Comment voyez-vous la situation des joueurs en France ? Pourquoi avez-vous un jour parlé du "mal français" ?
-- Les Français se laissent abuser car ils admirent les performances de quelques joueurs d'exception (MVL, EB, LF, RE... et notre féminine MS) mais ne réalisent pas qu'il n'y a aucune relève. Vous me direz que j'exagère. Pourtant, il n'y a aucun candidat sérieux au championnat du monde qui apparaisse sur notre sol, comme Fischer l'était dès 14 ans dans son pays.
Il semble que l'on soit incapable, chez nous, de préparer décemment les jeunes au haut niveau. Notamment en leur présentant, comme c'est le cas dans d'autres sports, autant d'entraîneurs qu'il y a de spécialités (ou sous-ensembles, appelez cela comme vous voudrez). Vous devinez où je veux en venir, le plus important sous-ensemble étant l'enseignement des FINALES !
A la dernière Olympiade, les Français étaient premiers, deux rondes avant la fin. Mais deux joueurs de haut niveau ont commis des bourdes en finale, renvoyant notre pays dans les catacombes. C'est ainsi : contra factum non fit argumentum (contre les faits, il n'y a pas de discussion). A la précédente Olympiade, en septembre 2012, la victoire s'était décidée par le même motif (les Français n'étant pas concernés) dans les matchs Russie-USA, Ukraine-Russie et USA-Chine. Combien faudra-t-il de preuves pour qu'on admette l'évidence ?
Pendant que les Français refusent de comprendre, d'autres sont plus lucides, les Chinois par exemple. Avez-vous mesuré les progrès qu'ils ont faits en finales depuis deux ans ? Quelle curieuse coïncidence, ils sont champions du monde ! Grâce à une finale du match contre les Azéris où le "mauvais Fou" a... gagné contre le "bon Cavalier". Mais à quoi bon insister : à laver la tête d'un âne, on y perd sa lessive.
Que pensez-vous de l'intrusion des ordinateurs dans le quotidien des joueurs ?
-- Une remarque sur un propos souvent entendu : l'ordi deviendra bientôt parfait, et donc les Echecs perdront tout intérêt. Une sottise, pour au moins 3 raisons.
D'abord, envisager des "tablebases à 32 unités" relève de la douce rêverie : actuellement, les tablebases à 7 ne sont pas terminées. Ensuite, comme le disait il y a déjà longtemps Nicolas Giffard, l'apparition de l'automobile n'a pas tué la course à pied. Mais je préfère la 3e raison, plus personnelle. Supposons que la compétition, sous forme de tournois, s'arrête. Après tout, elle est en crise : le financement de plus en plus en plus incertain, les cadences infernales, la folie des fanatiques "anti-nulles", la démente règle punissant d'un zéro un retard de 30 secondes, etc. Un paquet de fous furieux veut dégoûter les joueurs du monde entier de la compétition.
Eh bien, même si cela était, ma passion pour les Echecs ne diminuerait pas d'un pouce. Comme je vous l'ai dit, c'est l'aspect artistique des Echecs qui m'occupe presque entièrement. Quand vous contemplez un tableau chez vous, quand vous écoutez un concerto, vous n'êtes pas troublé par la moindre considération sportive. Cela étant, si vous restez attaché à cette dimension, il reste les concours de résolution. Et, pour ceux qui sont plus doués que moi, les concours de composition !
Peut-on se servir des ordinateurs pour progresser ?
-- Bien sûr, mais intelligemment. A l'époque des ajournements, on conseillait de procéder en 3 phases : d'abord analyser tout seul, puis avec les copains, puis de nouveau tout seul. Avec l'ordi, il faut de même analyser seul, puis passer au crible les variantes avec l'ordi, enfin revoir le tout avec son propre cerveau.
Si vous suivez une partie de grands-maîtres sur l'internet, débranchez, comme disait France Gall, je veux dire débranchez le moteur d'analyse. Vous disposez ainsi d'un cours gratuit à domicile, donné souvent par les meilleurs joueurs du monde. Mais à la fin de la partie, consultez-le. Si vous avez le temps, reprenez ses suggestions par vous-même : la 3e phase.
Il est amusant de voir les moteurs donner +4,5 à des nulles théoriques, comme tout dernièrement Carlsen-Aronian. Mais il est affligeant de voir des joueurs moutonniers répéter, en pareil cas, que "ça gagne facilement". Lisez les commentaires sur les sites de retransmission ! Quoiqu'il y en ait de très bons, un sur mille peut-être, comme cette (méchante) critique d'un joueur du "top 10" que je ne nommerai pas : "il prépare un livre dont le titre sera : comment je suis devenu ce que je n'ai jamais été".
Quand vous préparez un début, ne vous fiez pas à l'appréciation de la machine. Un coup nécessitant par la suite 3 coups difficiles pour sa justification, c'est un mauvais coup en pratique. Un coup pouvant être suivi par 3 coups humains, le tout menant au pire à un désavantage purement symbolique, est un bon coup.
La tentation de se fier aux machines est un fléau de l'époque. La décérébration menace : le danger est, à force de mésuser des houdins, de devenir... un boudin.
Quels sont vos livres préférés ?
-- Hors échecs, ce serait trop long, je ne vous donnerai qu'un exemple qui vous surprendra : j'ai aimé la trilogie de S. Larsson. J'aurais aimé avoir une amie comme Lisbeth (qui, comme vous le savez certainement, joue aux échecs) : elle aurait vite fait le ménage parmi mes ennemis !
Côté échecs, un par catégorie : le gambit du Roi de Kérès (ouvertures), les parties commentées de Guelfand (milieu de partie), beauté et profondeur de Mandler (études), l'anthologie de Breuer (problèmes). Tiens, j'ai oublié les finales : à mon âge, on perd la mémoire !
Musique, cinéma, plats, pays ?
-- Joli le jeu de mots. Merci au grand Jacques.
En classique, je préfère les concertos aux symphonies et les sonates violon-piano à l'opéra. Quoique je n'oublie pas la divine Maria (Casta Diva).
En jazz, je préfère le Duke et Basie à ce qu'est devenu Davis. Mais j'aimais bien les Soft Machine (kekcekça ?).
Par ailleurs, je reste fasciné par Nico, l'ayant approchée il y a... 40 ans. Sa voix hypnotique me réconforte souvent. Comme elle, j'ai l'impression que "mon coeur est vide", tout en distribuant des chansons "pleines d'amour". Et me méfie de "l'honnêteté qui vous ment". J'appréciais les Moody blues, quoique ayant peu de ressemblance avec Léo Ferré. Aussi Tim Hardin, Dylan et Clapton, mais par ailleurs King Cole et Sinatra. Et d'autres dont vous n'avez jamais entendu parler !
Je ne vais plus au cinéma depuis plus de 20 ans. J'aime beaucoup De Funès, mon acteur préféré est néanmoins Paul Meurisse. J'aime les films de Mankiewicz, Minnelli, B. Wilder, De Palma, mais aussi de Melville, Lautner (avec Audiard), Autant-Lara et... Besson (au fait, bonjour Juliette !).
Mon plat préféré est le ris de veau aux morilles, qu'on ne trouve pratiquement plus. Je déteste la bière et le vin rosé : je me rattrape largement sur le blanc et le rouge. Je préfère le bourgogne au bordeaux, sauf quand je dîne chez J.-R. Lagunes.
Pays : en 1996, j'étais en Martinique. Et en 2009 au Brésil, où j'ai découvert un paradis nommé Paraty (jeu de mots d'autant plus involontaire que ça se prononce "tchi"). Mais pour des raisons de budget, je me contente en général de... la Croatie. J'aurai du mal à visiter toutes ses îles (il y en a une centaine) mais je m'y emploie.
Quels sont vos défauts ?
--- Comme pour les livres, ce serait trop long... Je crois que mon principal défaut est ma faiblesse dans la vie pratique : je suis un lamentable bricoleur, je ne suis pas assez vigilant dans la gestion de mes affaires (j'ai passé ma vie à me faire enfirouâper, comme on dit au Québec). Et si ma femme n'existait pas, c'eût été encore bien pire. J'ai passé trop de temps aux Echecs !
Et je dis en face ce que je pense, ne supportant pas l'hypocrisie. Je suis très patient quand on m'interroge, mais quand on affirme péremptoirement, j'ai tendance à bâtonner. Ce qui amène certains à croire que je suis orgueilleux. Alors que c'est tout le contraire...
Et vos principales qualités ?
-- Elles sont incluses parmi mes défauts !
Commentaires
1 David Gauthier Le 24/03/2023
2 Alain Le 01/03/2023
3 Julie Le 15/02/2023
4 012Cavina Le 26/09/2022
Votre manuscrit doit être envoyé par courrier postal à l'adresse suivante : 61 Rue des Saints Pères 75 006 PARIS. Votre manuscrit doit être dactylographié, relié et imprimé sur du papier au format A4. Nous n'acceptons aucun manuscrit envoyé par courrier électronique ou sur support électronique.
5 Alain Le 09/10/2020
L'édition Garnier (1982-84) a des "diagrammes vivants" sur chaque première page de couverture.
L'édition Grasset (1998) ne les a plus, mais en revanche a :
-- une nouvelle préface,
-- un paquet de corrections,
-- 64 (nombre hautement symbolique) nouveaux exercices.
D'autres corrections, en grand nombre, ont été apportées depuis. Comme disait Bobby Fischer, il est impossible d'écrire un livre d'Echecs sans erreurs. Certaines sont sur le "cours du maître". Pour les autres, n'hésitez pas à me consulter.
Bonne lecture !
6 Bertrand DUCOULOMBIER Le 08/10/2020
Quelle différence entre les éditions Garnier et les éditions Grasset?
En attente d'une réponse,
veuillez agréer, monsieur, mes salutations distinguées.
B.F. Ducoulombier
7 Alain Le 29/09/2016
8 Cunctator Le 29/09/2016
J'apprécie énormément votre humour, votre amour des échecs et votre savoir vivre.
Par savoir vivre j"entends ne pas mettre d'eau dans son vin mais avec panache et élégance.
Commenter votre talent pédagogique est superflu.
Quel dommage qu'on ne vous lise plus sur FE.
GENS UNA SUMUS